Vous pouvez écouter ce contenu en podcast en cliquant sur le lecteur ci-dessous ou le lire plus bas.
Avant de rentrer dans le vif du sujet, je voudrais commencer par quelques repères chronologiques. Le métier de community manager à proprement parler est un métier qui apparaît à la fin des années 2000 avec l’essor des deux grands réseaux que sont Facebook et Twitter. Ce ne sont pas les seuls mais clairement ce sont ceux qui prennent le plus de place dans l’espace public numérique. Facebook est créé en 2004, Twitter en 2006, et à la fin des années 2000 l’environnement est mûr pour l’arrivée de ce nouveau métier. Ce sont d’abord les entreprises qui vont se doter de compétences de communication numérique en plus sur les réseaux sociaux, puis les institutions publiques vont suivre. L’intégration de ce nouveau métier va beaucoup dépendre des lieux où elle se fait.
Dans certains d’endroits, le métier de community manager est dans un premier temps donné au stagiaire qui est là et qui s’ennuie, sous prétexte qu’il est jeune et qu’il a des comptes sur les réseaux sociaux en question. Mais dans bien d’autres endroits, on commence à réfléchir des fiches de poste et, même si on n’a pas encore la connaissance du métier et même si on ne mesure pas l’ampleur qu’il sera amené à prendre dans les années à venir, on sait que de vrais professionnels vont devoir s’en occuper. La réalité dans la plupart des cas se trouve un peu entre les deux.
Je vais prendre mon exemple à moi, d’abord parce que c’est celui que je connais le mieux et parce que je trouve qu’il est relativement éclairant pour comprendre comment la fonction de community manager a été intégrée dans un certain nombre de structures avant même de devenir un métier à part entière. J’ai commencé à travailler en 2011, en faisant les campagnes primaire puis présidentielle de François Hollande. À ce moment-là je ne fais pas du tout de community management au demeurant, je suis rédacteur web pour le site francoishollande.fr. Mais dans la foulée de ces campagnes, j’intègre la mairie d’Alfortville (94) comme chargé de communication – je m’occupe alors essentiellement de campagnes de communication « traditionnelles » sur du print, je rédige un peu pour le magazine municipal, etc. – et très rapidement je fais comprendre à ma directrice de la communication que le numérique m’intéresse. On est fin 2012, début 2013, dans une période où les villes ont déjà un peu pris le pli de créer leurs outils sur les réseaux sociaux. Je propose donc à ma directrice, en accord avec le cabinet du maire, de créer la page Facebook et le compte Twitter de la ville. Là commence mon rôle de community manager. En réalité à l’époque, je prends sur moi d’intégrer la fonction à mon poste et me transforme petit à petit en chargé de communication numérique. Plus tard, en 2014, j’intègre l’Élysée et sa cellule web et deviens community manager et chef de projets web. À nouveau, le community management n’est qu’une part de mon travail. Enfin, aujourd’hui, je suis responsable de la communication numérique du bureau de la communication Jeunesse et Sports. Il se trouve qu’une majeure partie de mon temps est composé de community management mais je ne fais pas que ça.
Un community manager, ça fait quoi ? Pour résumer, il a trois missions principales. La première est une mission de veille, de regarder ce qui se passe sur les réseaux sociaux, de se renseigner sur l’évolution des différentes plateformes. Une veille qui est thématique, en fonction de la structure dans laquelle vous travaillez, permettant de suivre les sujets qui montent et d’anticiper les potentiels sujets polémiques. La deuxième concerne la publication. D’une part le contenu original créé et publié sur les réseaux sociaux et d’autre part l’ensemble des réponses que le community manager est amené à faire aux usagers, ce qui représente la plus grosse part de son activité en ligne. La troisième est une mission d’évaluation et de suivi des performances de ses publications. Il est amené à étudier les statistiques de ses différents réseaux et à tenter d’évaluer en termes qualitatifs les retours de sa communauté. L’idée n’est pas seulement de cumuler des abonnés ou des j’aime, on peut se retrouver avec une publication qui a énormément de commentaires, si 80% de ces commentaires sont négatifs ça pose problème et ça doit se mesurer.
La naissance du débat sur la disparition du community manager arrive très vite après l’intégration de ce métier dans les services communication. Si vous tapez disparition du community manager sur Google, vous allez trouver des articles quasiment tous les ans depuis le début des années 2010 qui traitent de la question. Ce questionnement naît de la bulle qui s’est créée autour des métiers du web avec le développement des grands réseaux sociaux. D’un coup, tout le monde comprend qu’il faut investir les réseaux sociaux et qu’il faut des gens qui s’occupent de cela dans les structures, qu’elles soient privées ou publiques. Tout le monde se met à chercher son community manager. Il y a alors deux cas de figure, le premier c’est l’autodidacte. Dans un certain nombre d’endroits la fonction va être ajoutée à la fiche de poste de quelqu’un qui fait déjà autre chose et qui va être obligé de se former un peu sur le tas. Et dans le même temps, des formations commencent à se développer à l’université ou dans des écoles privées, entièrement orientées vers le community management ou les métiers du web en général. On va vers de la formation spécialisée qui va permettre à de nouveaux professionnels d’entrer sur le marché du travail et d’occuper ces postes nouvellement créés.
Si j’ai utilisé le mot bulle, ce n’est pas tout à fait par hasard. Je pense que dans l’esprit de ceux qui commencent à réfléchir, dès son avènement, à la disparition du métier de community manager, il y a cette interrogation : est-ce qu’on est pas en train de faire n’importe quoi ? Les réseaux sociaux se développent mais est-ce qu’on est pas en train soudainement de former des centaines de personnes à un métier qui aura disparu dans cinq ans ? Et si certains se posent la question de la disparition du community manager, Ce n’est pas uniquement pour le plaisir de jouer les Cassandre. C’est parce qu’il y a quelques éléments qui donnent matière à réfléchir.
Le premier de ces éléments, c’est la spécialisation des métiers du Web. Ce qu’il faut comprendre c’est que, depuis plusieurs années, certaines des missions du community manager sont déléguées à des métiers encore plus spécifiques. La veille en est un bon exemple. C’est une mission qui prend énormément de temps et il n’est pas totalement incohérent que les agents qui y sont dédiés ne fassent que ça de leurs journées. Dans des grosses structures comme c’est le cas au Service d’information du gouvernement, des agents passent leurs journées à rédiger des notes de veille sur l’état de l’opinion en ligne, sur des sujets spécifiques, parce que la veille est aussi de l’aide à la décision. J’ai cité la question des échanges avec les internautes, mais je n’ai pas parlé de la modération. La modération pour un community manager prend là encore beaucoup de temps. Quand on a une page avec quelques centaines d’abonnés, ça va, mais dès qu’on passe le millier, ça peut devenir plus compliqué. Il faut être en capacité de supprimer de ses comptes réseaux sociaux les propos haineux et donc avoir une modération qui soit rigoureuse. Dans les grandes institutions, il est évident qu’aucun agent n’a suffisamment de temps pour gérer la modération à longueur de journée. La mission est alors déléguée à des prestataires spécialistes de ces sujets. Un autre exemple, qui paraît maintenant évident à tout le monde, les aspects stratégiques, la réflexion sur la ligne éditoriale – qui était dévolus il y a encore quelques années au community manager, à la fois stratège et exécutant – reviennent aujourd’hui à ce qu’on appelle des social media manager qui sont moins dans l’opérationnel et se consacrent essentiellement à la stratégie.
L’émergence de ces nouveaux métiers du Web rend naturelle l’interrogation sur la disparition du community manager. On s’aperçoit qu’avec le temps, il est un peu dépossédé de certaines de ses missions. On est alors fondé à se demander ce qu’il va rester au final.
Le deuxième élément qui donne à réfléchir à cette possible disparition – et là on se projette plutôt à moyen voire à long terme – c’est la question de l’intégration totale du numérique dans les entreprises et les administrations.
Avec l’avènement des réseaux sociaux, il s’est passé quelque chose d’un peu étrange dans nos services, c’est la séparation qui peut exister entre le print et le web. Une séparation d’autant plus incompréhensible qu’elle se fait par supports et non pas par thématiques ou objectifs de communication. Pourtant, en communication, ce qui est fondamental ce sont d’abord les objectifs, les messages que l’on souhaite faire passer, et ensuite on s’intéresse aux personnes qu’il faut cibler et aux canaux que l’on va employer pour cela.
Il n’y a aucune raison a priori de séparer la communication numérique du reste de la communication traditionnelle. Et on s’aperçoit que s’opère de plus en plus un glissement entre une logique de supports et une logique de contenus. C’est le cas avec l’apparition de nouveaux métiers comme celui de content manager qui va gérer une thématique, un dossier en entier. Ça reste aujourd’hui un métier plutôt orienté numérique mais on est quand même dans la logique de quelqu’un qui, du début à la fin, va s’occuper de diffuser un message et choisir les différents canaux répondant aux différentes cibles. Il fera le choix ou pas de la création d’un contenu original, le choix de passer par de l’achat d’espace plutôt que par une diffusion organique sur tel ou tel réseau social, etc. On retrouve un rôle qui est à nouveau plus large, comme pouvez l’être celui de community manager au départ. Ce qui change, c’est uniquement la logique d’organisation du service qui est derrière. On passe d’une logique d’outils à une logique de messages. Et en poussant la réflexion à son terme, on peut tout à fait imaginer que demain dans les services communication, on ait des agents qui soit recrutés parce que spécialistes d’une thématique et qui prennent en compte l’ensemble des outils de communication à leur disposition. ils développeraient alors des messages autour d’un objectif donné et déclineraient ensuite la communication en fonction des publics via les différents supports : le journal municipal, le site de la ville ou encore les réseaux sociaux.
Dans un tel contexte, la question est posée, qu’advient-il du community manager ?
C’est une question qui continuera de se poser, et qui ne trouvera peut-être d’ailleurs pas de réponse définitive. C’est surtout une question qui ne s’appréhende pas du tout de la même façon en fonction de la taille de la structure dans laquelle on travaille. La situation ne sera pas la même si on travaille chez Orange ou si on travaille dans une PME. De la même manière, dans le service public, les enjeux du Service d’information du Gouvernement ne sont pas ceux d’une collectivité locale de 30 000 habitants. Dans ce type de structures, vous avez des services communication qui sont beaucoup plus petits, et on revient à un rôle de community manager qui est le mouton à cinq pattes. On n’a pas la possibilité dans des services de cette taille d’avoir beaucoup de prestataires. Il faut les choisir avec soin quand on a un peu de budget, et puis quand on n’en a pas, il faut s’en passer. Résultat, c’est le community manager qui récupère toutes les fonctions spécifiques qui ailleurs donnent lieu à des métiers particuliers.
Ce qui fait pour moi un bon community manager, c’est la capacité à remplir toutes ses fonctions. C’est la capacité à venir combler à un moment donné l’absence de telle ou telle fonction. Tout dépend évidemment du contexte de la structure dans laquelle vous travaillez. Ce qui traverse tout ça à mon avis, c’est la curiosité pour les métiers du web mais aussi pour tous les métiers de la communication en général.
Je pense sincèrement que ce qui est intéressant dans le métier de communient y manager, c’est la richesse et la diversité des missions qu’il propose. C’est de commencer sa journée sans savoir précisément comment elle va se dérouler mais en étant certain qu’il va falloir avoir faire un petit peu de veille, prendre du temps pour échanger avec des internautes, pour évaluer la performance de ses différentes publications, etc. Et de temps en temps, il faut tout arrêter parce qu’on vous dit « attention, il y a tel sujet polémique qui est en train de monter, est-ce que tu peux me dire précisément ce que sont les réactions en ligne ? ». C’est ce qui fait que j’aime mon quotidien et si demain j’ai à recruter un community manager, ce que j’attends de lui est ni plus ni moins que ce que je fais de mes journées. Avoir une réflexion sur la stratégie, avoir une réflexion sur la ligne éditoriale, être intéressé aux nouveaux supports, aux nouveaux réseaux qui émergent, à leurs usages, à leurs bonnes pratiques, à ce que l’on peut y faire ou non. Voilà ce que j’attends d’un community manager et oui, ça implique un peu d’être un mouton à cinq pattes. Mais à mon sens, c’est aussi ce qui fait la beauté du boulot.
Je terminerai en vous disant qu’à titre personnel je ne crois pas beaucoup à la disparition du community manager. Je pense que le métier va évoluer, le métier du web de manière générale continuent d’évoluer. Je pense qu’il y a surtout une question de contexte. Dans les petites structures, on va continuer de demander à une personne de faire 15 trucs là où dans une grande structure on aura un service avec cinq, dix, quinze personnes qui de fait auront des missions plus spécialisées. Je pense aussi que le sens de l’histoire va vers une meilleure intégration du numérique. Honnêtement aujourd’hui je ne sais pas à quel point cela va impacter le service communication. Est-ce que le content manager est un peu le métier de demain, à savoir la fonction sur laquelle on va totalement fondre le print et le numérique et enfin réfléchir par objectif, par message, et non plus par canaux de communication ? On constate que cette évolution existe mais, pour autant, est-ce qu’elle va faire mourir le métier de community manager ? Aujourd’hui, ce n’est pas mon impression. Je pense plutôt que le métier de CM va perdurer. Dans le public en particulier, il est celui qui doit faire le lien entre d’une part les services administratifs et le cabinet, et d’autre part les abonnés qui sont les usagers du service public. La mission remplie par les community manager est une mission profonde de service public qui devra continuer d’exister. Et je pense que le community manager a besoin de ses différentes missions pour prendre la pleine mesure de l’environnement numérique dans lequel il évolue et pouvoir apporter les meilleures réponses aux usagers pour rendre le meilleur service.
Abonnez-vous à mon podcast “Ma vie de com’ numérique” :